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L’IA et la DeLorean de Doc

08 déc. 2025 - 21:54,
Tribune-
Cédric Cartau
L’inconvénient d’être un vieux briscard, c’est que l’on n’est plus étonné, même par les nouvelles belles choses cool hyper-choucardes et tout et tout.

L’avantage d’être un vieux briscard, c’est que l’on n’est plus étonné, même par les âneries ambiantes qui nous tombent sur le revers du paletot à longueur d’année. Et j’ai un scoop : la seconde catégorie est tout de même bien plus remplie que la première. J’en veux pour preuve l’ambiance générale autour de l’IA, qui ressemble fichtrement à un air de déjà-vu. Plus je lis d’articles, de blogs et visionne des shorts YouTube, plus je me frotte les yeux en pensant que non, je ne divague pas, j’ai déjà vécu tout cela.

Premier signe troublant, les rumeurs persistantes autour de la bulle boursière des titres de l’IA (Nvidia, Microsoft, OpenAI, etc.). Ce n’est certainement pas la première bulle boursière de l’Histoire ni même la dernière – pour ceux qui l’ont oublié, la crise de 2008 était une mégabulle sur les valeurs immobilières. Mais celle de 2008 n’est pas comparable à l’actuelle sur l’IA : non, celle qui peut lui être comparée est celle de 2001 sur les valeurs de l’Internet, et c’est bien à celle-ci que se réfèrent constamment les observateurs du monde de la finance. Il y a des points de similitude (la croissance du marché est essentiellement tirée par les valeurs de l’IA en 2025, comme elle l’était par les valeurs Internet en 2001), mais aussi des points de divergence (les niveaux stratosphériques des rapports cours/bénéfice de 2001 n’ont pas encore été atteints en 2025), ce qui fait que, sur la question de savoir si bulle il y a ou pas, ces mêmes observateurs s’opposent. Ce qui est certain, c’est que pas mal de monde regarde cela très très attentivement, car la plupart de ces gens étaient là en 2001 et ont pris le bouillon. Je le sais, j’y étais.

Deuxième signe troublant, la course à l’échalote à laquelle sont en train de se livrer OpenAI (ChatGPT) et Google (Gemini). Lorsque la toute première version de ChatGPT est sortie il y a moins de trois ans, l’avance technologique était telle que l’on ne voyait pas très bien comment les mastodontes Gafam allaient rattraper leur retard. Ne dit-on pas d’ailleurs que la révolution technologique à venir qui renverra toutes les majors à l’ère tertiaire est toujours inventée par des gamins dans un garage ? Sauf que la toute dernière version de Gemini vient de surpasser largement ChatGPT selon tous les moteurs d’analyse et de comparaison, et force est de constater que Google n’a pas fait que coller aux basques de Sam Altman, la preuve étant que le petit Sam vient d’émettre un « code rouge » au sein d’OpenAI pour signaler à tous ses employés que l’avance de Gemini fait courir un risque existentiel à l’entreprise.

Troisième signe, et pas le moindre : on assiste à un usage totalement débridé de l’IA un peu partout : chacun peut constater dans son établissement les envois massifs de données vers les grands moteurs d’IA pour générer des comptes rendus médicaux. Arnaud Vanneste (directeur général du CHU de Nancy) a d’ailleurs lancé l’alerte lors d’une table ronde en novembre dernier.

On a l’impression d’être au beau milieu de Retour vers le futur avec Marty McFly et la DeLorean de Doc, histoire qui en rappelle furieusement une autre : le combat épique entre Novell et Microsoft sur le marché des réseaux locaux (LAN). Fin des années 1990, c’est Novell qui domine très largement le marché des petits réseaux d’entreprise. J’ai personnellement assisté à un show de Novell à l’américaine, en 1996 ou 1997 dans je ne me souviens plus quel palais des congrès, et pour les aficionados de la marque (une ferveur quasi mystique régnait à l’époque, avec des adeptes carrément fanatiques), il était clair que jamais, ô grand jamais ! Bill Gates ne rattraperait son retard. Mais comme pour Google et Gemini, c’était sans compter sur la force de frappe de Microsoft qui, en quelques années et avec pourtant un produit totalement pourri (Windows NT, dont le surnom était « No thanks » tellement il était troué de bugs), a rattrapé, dépassé, avalé, puis tué Novell, qui a rejoint la longue liste des boîtes prétendument disruptives avec des produits que personne n’égalerait jamais : Netscape, Palm, BlackBerry, etc. Et, last but not least, le début des années 2000 a été marqué par la naissance du Shadow IT : n’importe quel gugusse pouvait acheter un site Web pour 50 euros par an et y mettre les données des usagers, des clients, des patients de la boîte sans aucun contrôle de la DSI, la plupart du temps en méconnaissant les règles élémentaires de droit (dont celles de la Cnil, entre autres) et dans des conditions techniques de sécurité des données olé olé.

Alors si l’Histoire se répète – et elle a une fâcheuse tendance à se répéter –, il risque de se passer les choses suivantes, avec une probabilité assez élevée :

– OpenAI mourra dans moins de cinq ans, incapable de suivre les investissements que Google (avec par ailleurs d’autres sources de revenus) est capable de mettre sur la table, tout comme Novell a capitulé devant Microsoft il y a un quart de siècle ;

– dans le meilleur des cas (pour OpenAI), la structure sera rachetée et son offre intégrée à un écosystème plus large ; Microsoft est un bon candidat car c’est son truc de racheter les boîtes et de se positionner en numéro 2 sur une technologie ;

– les 400 milliards dépensés par les Gafam sur les investissements physiques concernant l’IA (datacenters, centrales de production d’électricité) n’atteindront jamais un seuil de rentabilité correct, ce qui veut dire des CapEx cramées pour rien et donc une grosse correction à prévoir sur les marchés, genre 30 % ;

– le modèle économique de l’IA n’a pas encore trouvé sa répartition entre le marché domestique et le marché professionnel, et ce modèle ne pourra être stabilisé qu’après épuration du marché, soit la disparition à terme de 90 % des acteurs ;

– la prochaine invention « disruptive » du même tonneau que l’IA aura lieu dans 20 à 25 ans ;

– cette prochaine invention sera encore pire, en termes de consommation d’énergie et de production de CO2, et l’on verra des militants habillés en vert vous expliquer qu’il faut en diminuer l’empreinte énergétique, en vous montrant, pour étayer leurs propos, des courbes générées sur leurs iPhone 45 avec Gemini 18.0 ;

– le prochain Sam Altman est en fin de collège en ce moment (Sam Altman avait 15 ans lors de la bulle Internet de 2001) ;

– comme à chaque ruée, ce sont les fabricants de pelles et de pioches qui vont s’en faire en platine massif, c’est juste que l’on n’identifie la pelle et la pioche que quand on voit le grand trou déjà creusé ;

– le Shadow IA va se développer au moins aussi vite que le Shadow IT en son temps, aucune DSI n’est en mesure de le contrôler, et il faudra une à deux décennies pour l’encadrer, faute de moyens et surtout d’offre de substitution de niveau comparable.

Ah, j’allais oublier ! De toutes les prédictions que je viens de faire, la moitié est fausse. Sauf que je ne sais pas de quelle moitié il s’agit.

Lol.

photo de Cartau
Cédric Cartau

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