De la maturité des organisations à l’aune du critère de priorisation – Volet 2

10 nov. 2020 - 10:04,

Tribune

- Cédric Cartau
Poursuivons l’inventaire des modes de priorisation entamé au volet précédent (1)

Mode Shortest Job First

Il s’agit d’attribuer le maximum de ressources à la demande qui en consommera le moins. L’idée est de considérer qu’entre le client qui vous réclame trois mois-homme de travail et celui qui ne vous en réclame que 5 minutes il vaut bien mieux retarder l’échéance du premier de 5 minutes que celle du second de trois mois. C’est évidemment l’antithèse parfaite du mode Fifo, mais cette approche ne peut qu’être occasionnelle (sinon le plus gros client ne voit jamais son dossier traité). Ce mode est, par exemple, très utile quand des opérationnels sont interrompus en plein travail par une demande ponctuelle du chef : si vous retardez de 5 minutes l’échéance du demandeur, sa vie n’en sera pas changée, mais si vous répondez systématiquement à votre chef que son dossier sera traité sous trois mois, c’est ce dernier qui va vite avoir envie de changer la vôtre. À titre personnel, je trouve qu’une dose homéopathique de ce mode est très efficace et permet de faire croire aux « petits » demandeurs (ou à votre chef) que vous bossez hypervite. En revanche, ce fonctionnement est très perturbant pour des opérationnels qui ont besoin de rester très concentrés sur des tâches complexes : un avocat qui travaille sur un dossier très épais ou un informaticien qui est en train de mettre en place la prochaine mise à jour majeure du DPI.

Mode Voice Loud

Il s’agit d’attribuer le maximum de ressources au demandeur qui crie le plus fort – ou qui a le plus gros gourdin, ce qui revient à peu près au même. La présence systématique de ce mode est révélatrice de gros défauts organisationnels ou de management. Les aficionados du Voice Loud chez les clients finaux ont vocation à être filtrés par le management. Autre technique que j’ai vue mise en œuvre à plusieurs reprises : se mettre à bosser à fond pour ledit client pendant une ou deux heures, histoire qu’il ait l’impression que son dossier avance, et retourner aux affaires courantes dès qu’il a tourné la tête – vous avez juste perdu 2 heures. Dans la plupart des cas que j’ai pu rencontrer, les Voice Loud finissent par se mettre eux-mêmes au ban de l’organisation : les gens supportent de moins en moins les grincheux périodiques. Il ne faut cependant pas jeter aux orties ce type de priorisation, car il peut être vu comme le mode « brise-glace » nécessaire au traitement des urgences réelles dans une organisation assez figée – une sorte de contre-pouvoir si vous préférez. Mais c’est comme crier au loup : trop utilisé, il perd de son efficacité.

Mode « à la tête du client »

On a remarqué que Kevin, le technicien de l’équipe d’assistance micro, avait une forte tendance à courir ventre à terre pour aller dépanner Barbara et Britney du bureau 95C, alors que quand il s’agit de Micheline et Josette, 129 printemps à elles deux, il n’était jamais disponible.
Ce mode est la plaie des équipes front office des services supports et exige une attention constante du management intermédiaire. Il constitue souvent une contre-mesure silencieuse du front office au mode Voice Loud.

Mode non préemptif

Généralisation du mode Voice Loud, il s’agit d’une dérive des organisations par laquelle un client lambda est capable de phagocyter toutes les ressources pour une raison ou une autre, le management (top ou intermédiaire) ayant le plus grand mal à reprendre la main (repréempter) sur les affectations de moyens et la priorisation.
C’était ainsi que fonctionnait Windows 3.1 : il suffisait de lancer un formatage de disquette pour bloquer totalement la machine. Bon, en même temps, c’était aussi l’époque des téléphones à cadran circulaire clac-clac-clac-clac, des chemisiers à épaulettes rembourrées et des permanentes façon crinière chez les filles ; ce sont les anthropologues qui, dans 10 000 ans, vont se marrer.

Le mode Voice Last

Il s’agit de tout arrêter pour servir le dernier client qui est venu vous trouver (en général la demande provient de la hiérarchie). Si les opérationnels ont peu de leviers pour lui dire non, un bon truc pour casser cette logique consiste à lui opposer le Voice Loud : en d’autres termes, si c’est le dernier demandeur qui phagocyte toutes les ressources, passez un coup de fil à celui de vos demandeurs qui est connu pour crier le plus fort, avec comme effet probable de mettre de l’ambiance chez vos n+1, n+2, etc.

Le mode « politique »

Là, la priorisation n’est que le fait du prince, quel que soit son niveau hiérarchique. Généralement, les critères du prince sont essentiellement médiatiques : tel projet est priorisé parce qu’il sera visible ou fera l’objet d’une publication marketing. Le prince est chez lui, il fait ce qu’il veut, y compris aller se friter avec les Voice Loud ou les Voice Last, qui ne font jamais défaut dans les organisations.

À suivre…

(1) /article/3954/de-la-maturite-des-organisations-a-l-aune-du-critere-de-priorisation-volet-1.html 

 

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