DMP et SRI, les annuaires en filigrane
29 jan. 2019 - 10:22,
Tribune
- Cédric CartauCette problématique a été rencontrée dans les établissements de santé dans la première moitié de la décennie 2000 avec le premier plan Hôpital numérique et a conduit au déploiement de la première génération de DPI : la tâche ne fut pas simple, et les équipes se sont heurtées au changement de paradigme induit par la contrainte du partage au sein des unités de soins. Les internes et les jeunes chefs de clinique fraîchement sortis de la faculté rient aujourd’hui à gorge déployée quand on leur raconte que, il y a à peine 15 ans, certains médecins (pas tous heureusement) ont freiné bec et ongles pour ne pas que « le service d’à côté voie les données de leurs patients (sic) ». Le temps passé, on n’en est plus là, sauf que l’histoire se répète : pour coordonner une prise en charge au sein d’un GHT, il faut partager, bis repetita.
À partir de là, globalement, trois stratégies sont envisageables. La première consiste à faire un annule et remplace des n-1 DPI dans un GHT de n établissements, et choisir le énième DPI pour couvrir l’ensemble du GHT. Ceux qui ont écrit la loi de santé 2016 ont certainement pensé que les choses allaient se passer ainsi, sauf que cela ne fonctionne pas dans la plupart des cas. D’abord parce que, si cette stratégie était viable, elle aurait justement été mise en place dans la première vague des DPI : à l’époque, les établissements de santé possédaient presque tous des dossiers de spécialité par unité de soins, et n’ont pas, que je sache, choisi l’un de ces dossiers pour couvrir tout l’établissement – et ce pour différentes raisons, notamment l’adéquation de la couverture fonctionnelle, mais c’est hors du propos de cet article. À l’époque, donc, les établissements ont choisi un n + 1 énième logiciel pour remplacer tous les autres. Il aura fallu dix bonnes années, sachant que ce n’est pas terminé : certains services disposaient alors d’un dossier de spécialité (DS) dont la couverture fonctionnelle, forcément adaptée à la spécialité en question, n’a toujours pas été rattrapée par le DPI institutionnel. Il y a eu certes des avancées notables (le partage notamment), dont on peut estimer que les avantages couvrent les inconvénients cités, mais, en tout état de cause, dix ans après, ce n’est toujours pas fini, et dix années de plus au moins seront nécessaires. Et encore en étant optimiste : la France accuse un retard considérable au regard de l’échelle Himss d’informatisation du soin, retard qui ne se réduit pas.
La deuxième stratégie consiste à passer par une étape intermédiaire. L’idée du SRI se découpe en trois phases : la première consiste à déverser sur une plateforme commune les identités (IPP) des patients de chaque établissement afin d’égaliser les règles d’identitovigilance (ce qui n’est pas simple) pour obtenir une base d’IPP de GHT « propre ». La deuxième phase consistera ensuite à déverser des informations médicales sur cette plateforme, raccrochées à un patient bien identifié par chacun. Dans la troisième phase, il s’agira de passer à un DPI de GHT, à savoir la mise en œuvre de la stratégie précédente.
La troisième stratégie consiste à s’appuyer sur le DMP : après tout, pensent certains, le SRI existe déjà : il s’agit du DMP. En dehors du fait que cette méthode n’est pas viable à court terme (voir à ce sujet l’étude[1] très intéressante de Philippe Ameline), le DMP ne peut accueillir en l’état tous les documents et informations nécessaires à une prise en charge de territoire : déversement automatique des résultats de biologie, des images du PACS, etc.
Mais ce qui ressort dans les trois cas, c’est qu’en filigrane de ces problématiques et de ces stratégies on retrouve la sempiternelle question des annuaires : sans annuaire commun, pas de partage de données, pas de SI commun à plusieurs acteurs, etc. Le SRI est bien une tentative de répondre à une problématique commune d’identité patient, donc d’annuaire. Le DMP pourrait répondre à cette question si, et seulement si, l’INS (identifiant national de santé) était déployé à l’échelon régional a minima, national dans le meilleur des cas. Pour avoir tergiversé depuis 41 ans (1978, date de création de la Cnil), nous avons des décennies de retard sur ce sujet : pour déployer un INS à l’échelle de 66 millions d’habitants (sans parler des naissances et des entrants), il faut au bas mot une décennie.
J’ai une autre mauvaise nouvelle : c’est exactement la même question qui va se poser pour les stratégies de convergence des briques RH, même si dans ce cas c’est un peu plus simple : un GHT couvre facilement des millions de patients, mais rarement plus de 20 000 agents. C’est aussi la même question qui va se poser pour les finances (quand il va falloir faire de la comptabilité analytique sans base d’UF commune trans-GHT, bon courage), et c’est aussi la même question qui va se poser pour le montage des IAM de GHT, et c’est très complexe car un IAM est naturellement interfacé avec une foultitude d’autres briques logicielles (notamment les RH) elles-mêmes en pleine mutation du fait de la convergence.
Allez, on va être optimiste, on va dire que c’est super méga génial, il y a tout plein de projets passionnants qui nous attendent. Youpi !