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La santé est en panne, la santé numérique sera-t-elle en marche ?
Le monde a bougé et nos dirigeants ont ignoré la nécessité de décisions incitatives pour mener une politique d’innovation concrète, notamment en santé numérique. Le décalage entre les besoins et l’évolution du système de santé se perpétue sans une vision d’avenir intégrant ces nouveaux outils. Nous vivons une organisation sanitaire verrouillée sur un mode médico-économique, cloisonnée entre la ville et l’hôpital, entre le sanitaire et le social. De nombreux territoires de santé sont débordés par une désertification qui engendre des difficultés d’accès aux soins. Nous mourrons d’un immobilisme ancré dans les mentalités politiques mais aussi professionnelles. Des décisions de décloisonnement, d’innovation organisationnelle intégrant le numérique sont indispensables.
Des mesures inapplicables
Aucune mesure incitative n’est proposée pour sortir de ce marasme alors même qu’en Espagne, Allemagne, Italie, Royaume-Uni l’expérience des pionniers en télémédecine, suivis par les dirigeants, ouvre de réelles perspectives de réorganisations sanitaires territoriales intégrant le numérique. Nous sommes « les champions du monde des textes » qui nous propulsent au quotidien vers des modèles complexes, usines à gaz. La tarification des actes de télémédecine promulguée en 2017 par la Direction Générale de l’Organisations des Soins l’illustre. Ces mesures sont inapplicables par des médecins et infirmières abreuvés de textes, inondés par une bureaucratie dictatoriale éloignée des besoins des citoyens et des préoccupations professionnelles. Les spécialistes hospitaliers ou libéraux, les généralistes, n’abandonneront pas les modalités d’exercice actuel pour les remplacer par une pratique non rémunérée ou trop complexe à financer. En Espagne, Allemagne, Italie, dans les pays Nordiques, l’action dynamique prime sur les textes qui, en France, nous ligotent.
Un sentiment d’abandon
Après 10 ans d’expérimentation de télémédecine à l’HEGP à Paris, j’ai piloté et coordonné TELEHPAD, de 2013 à 2016, en Côtes d’Armor à Saint-Brieuc. Le projet s’est interrompu brutalement, fin 2016, faute de financement par l’ARS et la Mutualité des Côtes d’Armor, sous couvert de l’absence de décision nationale.
Cet abandon laisse, sans avenir des EHPAD, un territoire tel que le Centre Ouest Bretagne (COB) face au déficit de généralistes, dermatologues, spécialistes libéraux et hospitaliers. Le contrat local de santé du territoire validé par l’ARS Bretagne prévoyait le déploiement de la télémédecine intégrée aux organisations existantes pour faciliter l’accès aux soins. Pourquoi un tel frein ? Avec TELEHPAD j’ai nourri l’espoir que ce savoir-faire puisse être utile pour des personnes âgées, des aidants en EHPAD ou au domicile, des professionnels en territoire isolé pour qu’ils puissent bénéficier de nouvelles organisations intégrant la télémédecine, facilitant l’accès aux soins. Dans le Centre Ouest Bretagne 20 EHPAD hébergent 2000 personnes âgées qui sont aussi isolés que les milliers de patients âgés à leur domicile. Un service facilitant l’accès aux soins est abandonné alors même que le politique annonçait, de longue date, sa volonté de lutter contre « les déserts médicaux ». Nos dirigeants, l’assurance maladie craignent l’explosion des dépenses. Alors, il est plus simple de mettre des freins. L’illusion de ces craintes est supérieure aux difficultés d’accès aux soins vécues par des patients, leurs familles, les aidants, les professionnels de santé. La mutualisation d’outils mobiles connectés à la solution régionale bretonne STERENN piloté par une coordination territoriale déléguée à des infirmières serait un véritable « bol d’air évitant des déplacements », favorisant les liens entre les spécialistes et les généralistes dans un souci d’accès équitable aux soins.
Chaque année nous dépensons plusieurs milliards d’euros en transports sanitaires. La télémédecine intégrée à l’organisation des soins éviterait les transports de patients fragiles, voire le déplacement de médecins généralistes ou spécialistes sur les territoires pour qu’ils se consacrent exclusivement aux soins.
Ce ne sont pas des dépenses de santé supplémentaires mais une réorganisation qui prendrait en compte les réalités économiques et sociales sachant qu’aujourd’hui les budgets hospitaliers et de médecine de ville sont cloisonnés, obstacles à l’émergence d’un parcours de soins cohérent. Ces freins doivent être levés, c’est l’intérêt des patients, des professionnels mais aussi de l’assurance maladie.
Stop à la méfiance
J’exerce en 2017 mon activité en Ile de France et j’ai aussi le sentiment de cet abandon, de ce verrouillage.
Des patients handicapés, des personnes âgées vivant au domicile dans le 10ème arrondissement de Paris ont tout autant de difficultés d’accès aux soins ou s’entremêlent démographie en généralistes précaire, isolement infirmier, cloisonnement hospitalier, procédures administratives complexes et verrouillées. Nous devons certes prouver le service médical rendu alors que le temps presse et que des déficiences d’accès se font jour : l’accompagnement opérationnel construit sur les retours d’expérience déjà démontré peut arrêter cette descente vers une déficience des soins. Notre système de santé est en panne. La ville et l’hôpital sont cloisonnées. L’illusion du progrès en organisation annoncé est bridé par les freins économiques. La santé est en panne, la santé numérique sera-t-elle en marche ? Nous avons besoin de mesures incitatives fortes accompagnées d’une évaluation économique. Mais de grâce cessons de demander aux médecins et aux infirmières de participer avec la tarification expérimentale des actes à la construction d’une usine à gaz ! Déployons le numérique à une échelle significative, déverrouillons ces nouvelles organisations, donnons aux infirmières de ville les moyens d’agir, accompagnons les médecins généralistes et spécialistes hospitaliers et libéraux dans ces nouvelles organisations, stimulons par des mesures incitatives le décloisonnement ville - hôpital, faisons confiance aux professionnels, faisons travailler des livings labs en soins primaires pour intégrer dans les métiers de la santé les objets connectés, arrêtons cette méfiance bloquante du ministère et de l’assurance maladie. L’enjeu est clair : « l’accès aux soins équitables » des citoyens qui souffrent dans des territoires isolés. La crainte d’une explosion des actes de télémédecine est un leurre qui bloque les décisions politiques, administratives et de l’assurance maladie. La santé se mettra -elle en marche ?
L'auteur :
Le Dr Pierre Espinoza, interniste et gastroentérologue, a initié Télégéria en 2004 jusqu'en 2016 à l'HEGP (1800 actes de télémédecine) puis piloté TELEHPAD en Côtes d'Armor de 2013 à 2016. Il participe actuellement à des projets de télémédecine sur le handicap et sur les soins primaires au domicile, à Paris.
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