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DeepSeek et le moment Spoutnik
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On parle de « moment spoutnik » pour désigner cet instant où, quand vous êtes d’un côté du rideau de fer, vous vous rendez compte que la partie d’en face a fichtrement avancé dans un domaine où vous ne l’attendiez pas, et que vous avez intérêt à vous bouger si vous ne voulez pas rejoindre la longue liste des civilisations qui ont été exterminées par celles d’en face du fait de leur avance technologique. Je vous suggère à cet effet de lire ou de relire l’histoire de la prise de contrôle de presque toute l’Amérique du Sud par Cortés, Pizarro, Cabral et leurs quelques coreligionnaires : quand vous avez des mousquets et des bombardes, c’est tout de suite plus facile en face d’une foule, aussi nombreuse soit-elle, si elle ne dispose de son côté que d’arcs et de flèches. La Nasa a été créée en 1958, et l’élection de Kennedy en 1960 sera marquée par le lancement du programme Apollo qui visait à envoyer un Américain sur la Lune dans la décennie – on devait légèrement pétocher à la Maison Blanche à ce moment-là, et Kennedy avait parfaitement analysé la situation.
Personne n’a pu passer à côté de l’actu de la semaine : le lancement de DeepSeek par une start-up chinoise. Version officielle : l’IA a été entraînée avec des puces Nvidia de génération n-3 (la génération n ayant été bloquée à l’export par les autorités US) avec 20 fois moins de ressources (temps, électricité, etc.) que l’étalon ChatGPT. Bon, officieusement ces données sont invérifiables en l’état, mais il est certain que DeepSeek donne des résultats largement comparables à ceux de ChatGPT et que les derniers chipsets Nvidia n’ont pas pu être utilisés. Dans tous les cas, la start-up chinoise a fait au moins aussi bien que les meilleurs dans le domaine, et avec largement moins de moyens.
On est pile-poil dans ce que l’on appelle une innovation de rupture, au sens où l’on y trouve les ingrédients suivants :
– Ne pas faire mieux, faire différemment : les méthodes d’entraînement de DeepSeek sont très différentes de celles des IA classiques ;
– Les ressources initiales n’ont pas les mêmes valeurs ni la même importance : tout comme Kodak contrôlait la chimie de la pellicule, devenue inutile dans un monde numérique, l’importance stratégique des toutes dernières puces Nvidia est relativisée ;
– L’abaissement des barrières à l’entrée (appelée aussi « disparition des “moats” ») : en utilisant la même techno, des IA haut de gamme sont accessibles à plus de personnes ;
– La rapidité de survenance : quelques mois pour l’apparition de DeepSeek ;
– La remise en question de la logique linéaire des technos d’avant : demain n’est plus une continuation d’aujourd’hui, la courbe de progression est discontinue au sens mathématique du terme ;
– Le vecteur d’augmentation du marché : l’abaissement des coûts va mécaniquement engendrer une augmentation des besoins ;
– La réponse à une rupture est difficile pour un acteur existant : les Capex des Gafam dans l’IA en prennent un sacré coup (cf. les pertes financières sur le Nasdaq) ;
– La rupture rend inefficace les sanctions économiques et les barrières douanières : tout système finit par être adaptatif, la start-up chinoise a fini par contourner l’embargo sur les technos de dernière génération.
En matière d’IA, l’UE n’est pas à la traîne, elle est même sur le podium[1] si l’on prend comme métrique les modèles de LLM les plus performants. Une telle innovation de rupture permet de rebattre rapidement les cartes, et il y a toujours quelque chose de bon à y prendre, à condition de ne pas regarder passer le train. Et c’est l’exemple même qui démonte l’argument, souvent entendu, que l’UE a accumulé un tel retard dans l’IT qu’elle ne pourra plus le rattraper.
Il y a même un petit détail qui laisse penser que les cartes sont justement en train d’être rebattues. Dans un de ses ouvrages, Bill Bryson cite cet exemple (lors de la montée en puissance de l’industrie US au xixe siècle) qui reste une constante : un pays commence par piller les brevets des autres pour faire décoller son économie, et seulement ensuite met en place ses propres barrières juridiques pour protéger sa propre industrie. C’est ce qu’ont fait les US dès la fin du xviiie siècle, c’est ce qu’a fait la Chine à la fin du xxe.
Or, nous remarquerons que, pour entraîner ChatGPT, OpenAI a largement pillé toutes les sources documentaires en ligne, sans verser un kopeck de royalties, ce qui, semble-t-il, n’a pas beaucoup ému Sam Altman. Alors, quand le petit Sam affirme publiquement que DeepSeek a violé la propriété intellectuelle de ChatGPT, n’est-on pas en train d’assister au déplacement du centre de gravité de l’IA ?
Toutes les courses technologiques ont un point commun : au final, c’est toujours le marché qui décide, et les gesticulations de Trump ou d’Altman ne changeront rien à cette loi d’airain. 2025 va être passionnant.

Cédric Cartau
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