Publicité en cours de chargement...

Publicité en cours de chargement...

Responsabilité de l’IA : visions croisées de l’informaticien et de l’avocate – partie I

11 juin 2019 - 11:10,
Tribune - Cédric Cartau
L’autre jour, je discutais avec Marguerite de la question de la responsabilité de l’IA. C’est l’exemple bateau : si j’ai une voiture autonome – 100 % autonome – et qu’elle écrase un piéton, qui est responsable ? Nous voilà partis dans une discussion stratosphérique, alors qu’il n’y a vraiment pas de quoi fouetter un algorithme : si j’ai un chien et qu’il mord le voisin, j’en suis bien responsable en tant que propriétaire du chien, idem pour la voiture, fin de l’histoire.      

Ce après quoi je me dis que l’exemple du chien n’est peut-être pas une analogie idéale. Oui, après tout, personne n’a fabriqué le chien – si l’on excepte l’hypothèse du gros barbu perché dans les nuages –, et de fait le chien ne peut être responsable ni civilement ni pénalement. Donc, dans le cas de la morsure, cela me retombe toujours dessus quel que soit l’angle d’approche. 

Mais à y réfléchir à nouveau, il y a peut-être une distinction à faire selon que le propriétaire de l’IA est un particulier comme vous et moi ou une entreprise. Dans le cas d’une entreprise en effet, à partir du moment où l’acheteur prononce l’admission de la prestation, il reconnaît de facto que la chose vendue correspond à ce qu’il a commandé. Il lui appartenait de faire auditer l’objet du marché par une entreprise tierce pour en vérifier la conformité ; ne pas le faire est à ses risques et périls. C’est bien l’une des raisons pour lesquelles les chantiers navals de Saint-Nazaire ont été condamnés dans l’affaire de l’effondrement de la passerelle du paquebot Queen Mary II [2] : les juges ont certainement dû considérer que les chantiers navals auraient pu faire auditer la construction de la passerelle, qui avait été conçue par une deuxième entreprise et construite par une troisième. Dans le cas d’un particulier, cette possibilité d’audit est rarement mise en pratique dans les faits : quand on achète un véhicule, on s’attend à ce qu’il fonctionne. 

Clairement, dans le cas d’un véhicule appartenant à un particulier, à la réflexion, je doute que devant un juge le transfert de responsabilité afférent à l’acte d’achat l’emporte sur la garantie des vices cachés. D’ailleurs, si je reviens à l’exemple du toutou, je doute que l’on puisse invoquer la question du vice caché concernant le caractère de l’animal auprès de l’éleveur qui vous l’a vendu, alors qu’évidemment si le joint de culasse casse à 15 000 kilomètres, l’acheteur est protégé. Il y a fort à parier que la notion de vice caché l’emporte donc. 

Dans le cas de la voiture autonome, ce qui m’ennuie dans l’attribution systématique de la responsabilité au constructeur du véhicule, c’est que IA = logiciel et que le bug est inhérent au logiciel. Quels que soient les contrôles qualité que l’on déploie dans la conception ou l’implémentation du logiciel de commande, il y aura toujours des bugs. En dehors de cas très précis [3] et sans commune mesure avec le nombre de cas d’usage dans la conduite d’un véhicule, la preuve formelle de l’absence de bug est quasi impossible à démontrer. Comment peut-on engager la responsabilité d’un constructeur sachant que forcément le bug lui sera imputable, à lui et à lui seul ? Et si l’on ajoute le fait que, toujours dans le cas de l’IA, l’algorithme se modifie avec le temps (dans le cas d’un algorithme auto-apprenant), il va être compliqué d’engager la responsabilité du concepteur du logiciel, alors que le produit incriminé n’est pas – plus – celui qu’il a livré à l’origine.

Il est clair que les constructeurs ne vont jamais s’engager dans des véhicules autonomes à 100 % sans possibilité de débrayage : le fait justement de disposer d’un système débrayable et de stipuler dans les conditions d’utilisation que le conducteur doit reprendre la main « quand la situation le justifie » leur permettrait de dégager leur responsabilité. Bref, il va falloir des juristes et des avocats « plus plus plus » pour auditer les contrats de vente. Je gage que les conditions générales d’utilisation des voitures, que l’on va devoir signer en les achetant, seront des pavés de 500 pages. 

C’est ce que je dis depuis le début : la responsabilité de l’IA, c’est tout sauf simple, et il va falloir que les avocats s’emparent de la question, sinon une belle pagaille s’annonce dans les prétoires et chez les concessionnaires.


[1] Marguerite Brac de la Perrière, avocate et directrice du département Santé numérique du cabinet Lexing.

[2] Le 15 novembre 2003, la chute d’une passerelle d’une hauteur de 18 mètres a provoqué 16 morts et 29 blessés.

[3] La ligne 14 du métro parisien.

 

 

Avez-vous apprécié ce contenu ?

A lire également.

Illustration MedGPT : le premier assistant IA médical français, alternative à ChatGPT

MedGPT : le premier assistant IA médical français, alternative à ChatGPT

17 sept. 2025 - 08:48,

Actualité

- DSIH

La startup bordelaise Synapse Medicine vient de franchir une étape majeure dans le domaine de la santé numérique avec le lancement de MedGPT, un assistant conversationnel basé sur l’intelligence artificielle et conçu exclusivement pour les professionnels de santé.

Illustration La plateforme de télémédecine Rofim lève 10 millions d’euros pour poursuivre sa croissance et internationaliser son activité

La plateforme de télémédecine Rofim lève 10 millions d’euros pour poursuivre sa croissance et internationaliser son activité

15 sept. 2025 - 22:03,

Actualité

- Propos recueillis par Mehdi Lebranchu et Pauline Nicolas

Pensée par et pour des médecins en 2018, Rofim est une plateforme de télémédecine qui regroupe désormais six modules afin de permettre aux patients de recevoir le juste soin, au bon endroit, au bon moment et par le bon professionnel de santé. En cette rentrée 2025, Rofim annonce une levée de fonds d...

Illustration France 2030 : trois projets numériques en santé mentale et 29 expérimentations récompensés

France 2030 : trois projets numériques en santé mentale et 29 expérimentations récompensés

10 sept. 2025 - 11:56,

Actualité

- DSIH

Le gouvernement renforce son soutien à l’innovation en santé numérique. Ce jeudi 4 septembre 2025, lors de la clôture de la Journée de la filière IA et Cancer, Yannick Neuder, ministre chargé de la Santé et de l’Accès aux soins, a dévoilé les lauréats des appels à projets « Dispositifs médicaux numé...

Illustration Une feuille de route IA pour la CNSA

Une feuille de route IA pour la CNSA

08 sept. 2025 - 22:14,

Actualité

- Damien Dubois, DSIH

Le 1er septembre, la CNSA a annoncé la publication de sa feuille de route stratégique centrée sur l’intelligence artificielle au service de la branche Autonomie.

Lettre d'information.

Ne manquez rien de la e-santé et des systèmes d’informations hospitaliers !

Inscrivez-vous à notre lettre d’information hebdomadaire.