GHT : l’intendance suivra. Ou pas
25 fév. 2019 - 16:53,
Tribune
- Cédric CartauIl faudrait analyser les raisons pour lesquelles l’intendance suivait (si tant est que tel était le cas), mais on peut en citer au moins trois : d’une part, elle en avait les moyens, d’autre part, elle avait voix au chapitre sur certains grands projets : je doute que les Américains eussent lancé le débarquement sans s’être assurés au préalable que chaque soldat disposait de munitions et que les réservoirs des bateaux étaient pleins. Les générations précédentes d’ingénieurs ont construit une bonne partie des ponts et des avions avec des règles à calcul, et tout le monde en avait une – je le sais, mon grand-père m’a légué la sienne, respect aux anciens.
Troisième raison, le caractère « plat » de l’intendance d’alors, ce qui n’est pas le cas de l’informatique qui – malheureusement – fonctionne souvent selon le mode des opérations à tiroirs : pour faire le projet A, il faut d’abord acheter le matériel M, qui nécessite une mise à jour du middlewarebidule, qui lui-même réclame une montée d’OS. Ce qui est drôle avec l’informatique, c’est le syndrome « oups, on a oublié de vous prévenir ». « On a oublié de vous prévenir » du déménagement du service qui est préparé depuis deux ans : il faut 50 PC et des prises RJ45 partout, et c’est pour demain. « On a oublié de vous prévenir » que 200 étudiants arrivent la semaine prochaine : il faut créer les comptes et les habilitations, c’est pour hier. « On a oublié de vous prévenir » que le chercheur du troisième étage bureau 18 A vient de décrocher le contrat de recherche du siècle sur lequel il bataille depuis deux ans : il faut 5 To de disque, 20 serveurs et 40 logiciels installés, et c’est pour avant-hier – « Comment, vous n’avez plus de place dans le datacenter et vous devez passer un appel d’offres, mais mon cher ami je n’ai que faire de vos contingences, l’intendance suivra ! »
On est en train de rejouer le film, qui va encore être désopilant, avec les GHT. Par exemple, pour fusionner les DRH des n établissements d’un GHT (si telle est la stratégie retenue), avant de penser local pour rassembler tout ce beau monde en un seul endroit, et trigramme du futur service, il va d’abord falloir préciser ce que l’on entend par « un seul service qui gère les n populations d’agents » : avec un seul logiciel, avec n logiciels, avec le même logiciel instancié n fois ? Et là, on sent les zygomatiques qui chatouillent : s’il s’agit d’un seul logiciel et d’une seule base (les autres stratégies ne sont qu’un pis-aller et ne permettent pas les mêmes gains d’échelle), il va falloir uniformiser les plages de matricules, les politiques de gestion RH (bon courage pour le décompte des RTT et des arrêts maladies), les politiques d’avancement, etc. Bref, le prérequis est du SI pur jus ; et quand je parle de SI, il ne s’agit pas seulement d’informatique, mais d’éléments à la charge de la MOA qui réclament des actions autant de niveau politique qu’organisationnel. Traduction : ce n’est pas de la tarte.
Et on va rajouter une louche : si le projet de fusion des DRH pose la conservation de bureaux décentralisés, voire d’équipes éclatées, il va falloir tous les connecter. La plupart du temps, les établissements sont connectés à un réseau de ville, mais pas toujours par le même opérateur, ce qui complexifie le montage de RPV ou de VPN de site à site. Bref, on repart comme en 40 à revoir toutes les couches du modèle OSI.
Et pourtant, la recette n’est pas spécialement secrète. Il faut s’assurer au moins des éléments suivants dans tous les projets de coopération : la connexion physique (le réseau, ce qui comprend la sécurisation), l’identification des agents (ce qui comprend les annuaires AD, les interconnexions avec les annuaires RH, la politique d’habilitation, etc.), le paramétrage applicatif (les politiques RH citées plus haut) et le pilotage général de l’ensemble du projet. La recette n’est pas secrète, mais ce n’est pas simple pour autant.
Comme me disait ma grand-mère maternelle : « Travail organisé est à moitié fait. »
Et comme me disant ma grand-mère paternelle : « Quand on n’a pas de tête, il faut avoir des jambes. »