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« Le travail réel, part oubliée des politiques publiques de santé »

20 avril 2015 - 11:44,

Actualité

- DSIH, DL
Les travaux de recherche menés par le sociologue Alexandre Mathieu-Fritz mettent en évidence l’intérêt de développer une analyse du travail des professionnels de santé qui intègrent de nouvelles technologies médicales.

Qu’est-ce que l’enquête sociologique apporte à la compréhension de la perception de la télémédecine par les professionnels ?
L’analyse du travail tel qu’il est effectué en situation permet à la fois de faire émerger certains obstacles à la coordination entre professionnels de santé et d’appréhender la complexité et la diversité des activités de travail requises par l’intégration de nouvelles technologies médicales. Une approche de la coordination (ou de la non coordination) par l’analyse du travail permet de comprendre comment et pourquoi – c’est à dire de quelles façons et selon quelles logiques d’action – les acteurs concernés utilisent ou, au contraire, n’utilisent pas telle ou telle technologie de santé et contribuent, ainsi, au succès ou à l’échec de certaines politiques publiques de santé. Lorsque ces dernières échouent à produire de la coordination, on constate souvent que les activités de travail concrètes et les conditions de travail n’ont pas été réellement prises en compte – alors que cela aurait pu être entrepris, notamment au cours de la phase expérimentale des projets. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le travail réel constitue souvent la part oubliée - ou un impensé - des politiques publiques de santé, alors même que celles-ci se proposent de le transformer. Bref, prendre en compte le travail réel de tous les professionnels concernés par l’usage d’une technologie médicale constitue l’une des conditions de réussite des politiques publiques de santé dont l’application concrète repose sur l’utilisation de cette technologie.

Quels sont les effets observés de la télémédecine sur les échanges entre professionnels ?
A l’occasion de téléconsultations médicales, on a pu observer, entre professionnels de santé, diverses formes de mutualisation instantanée des connaissances cliniques et médicales qui donnent parfois lieu à de riches échanges et qui laissent place aux interventions du patient. Dans ce cadre, les effets de la coordination peuvent s’apprécier à travers l’accélération de la circulation des savoirs cliniques et médicaux. Le développement de la télémédecine concourt aussi à la délégation des tâches « de l’autre côté » du dispositif. Pour que la téléconsultation puisse avoir lieu, il faut que le médecin spécialiste délègue au professionnel de santé situé aux côtés du patient certaines tâches en vue de la réalisation à distance de l’examen clinique et du diagnostic. Cette délégation nécessite des efforts de la part du délégateur et du délégataire. Elle concerne des activités touchant directement à la production du jugement médical et peut ainsi poser problème aux professionnels qui délèguent, car il ne s’agit pas ici de tâches considérées comme subalternes, mais de tâches situées au cœur du métier. La délégation ne va donc pas de soi, d’autant plus qu’elle implique de devoir accepter qu’un professionnel de santé moins spécialisé réalise ces tâches. Délégateur et délégataire doivent en outre produire de réels efforts pour que la délégation puisse avoir lieu : le premier doit verbaliser des tâches incorporées pour guider le second qui doit accepter avec humilité de devenir les mains, les yeux et les oreilles du délégateur.

La fonction apprenante de la télémédecine commence à être mise en lumière (1). Est-ce également le cas dans le cadre de vos travaux ?
Les relations entre acteurs des soins constituent en effet l’occasion de transmettre (formellement et informellement) savoirs et savoir-faire, transmission suscitant des formes de « montée en compétences » des délégataires et favorisant la constitution de « micro-collectifs » de travail. Les nouvelles formes de coordination produites structurent ainsi de nouveaux groupes d’acteurs. Des modes d’appropriation – et, finalement, de coordination – diversifiés et inattendus sont observés. Par exemple, certains considèrent que la télémédecine est l’occasion de transmettre de bonnes pratiques – ce qui n’est pas toujours apprécié par ceux qui sont censés apprendre. Ces formes de transmission témoignent de l’extension relative du domaine d’intervention des spécialistes consultés grâce au dispositif.

Alexandre Mathieu-Fritz est sociologue du travail, maître de conférences en sociologie à l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée et chercheur au sein du laboratoire CNRS LATTS (Laboratoire Techniques Territoires et Sociétés). Il participera à la table ronde « Améliorer l’accès aux soins avec la télémédecine », organisée le 20 mai à 15h30 dans le cadre des conférences FHF.

 

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