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Le circuit du médicament : une affaire de management de la qualité
05 jan. 2012 - 01:00,
Actualité
- DSIHPublié par HOSPIMEDIA le 31/12/2011.La prise en charge médicamenteuse dans les établissements de santé doit désormais faire l'objet d'un véritable management avec, au centre des préoccupations, la qualité. Une disposition qui amène les directeurs d'établissements de santé à devoir jongler avec plusieurs impératifs. Ce qu'explique à Hospimedia Omar Yahia.
Hospimedia : L'arrêté du 6 avril 2011 encadre de manière précise le circuit du médicament à l'hôpital et la prise en charge médicamenteuse des patients dans les établissements de santé, ne laissant place à aucune part d'improvisation. Qu'est-ce que cela implique ?
Omar Yahia : J’ai eu l’impression, à la première lecture de cet arrêté, d’être face à un manuel de certification de la Haute autorité de santé (HAS). On y décèle tout du moins une véritable influence. Au plan juridique, je considère ensuite que les établissements de santé encourent aujourd’hui davantage de risques en cas de non-conformité à l’arrêté du 6 avril 2011, dès lors que le qualitatif a désormais investi le champ réglementaire. Auparavant, les établissements déviants, qui faisaient l’objet d’une visite de certification, risquaient une visite de suivi portant sur la thématique défaillante ou bien une certification assortie d’une réserve, d’une réserve majeure ou, pire encore, d'une non-certification. Or, désormais, les bonnes pratiques inscrites dans l’arrêté sont devenues juridiquement opposables car dotées d’une force contraignante. C’est bien une obligation de résultat à laquelle les établissements sont dorénavant soumis : ils n’ont plus le droit à l’erreur. L’article 8 de l’arrêté indique, par exemple, que la direction de l’établissement doit veiller à désigner les différentes responsabilités mais aussi que "la prescription est conforme aux données de référence". Si, dans ces conditions, je devais défendre un patient victime, par exemple, d’une erreur de prescription, je ne manquerais certainement pas de me reporter à cet arrêté pour vérifier si les dispositions nécessaires ont été prises.
Je relève également qu’il est désormais fait obligation aux établissements, dans le cadre d’un système de management de la qualité, de tout tracer suivant une méthodologie encadrée, là aussi typique de la HAS, et de suivre étape par étape le processus. La rédaction de l’article 8, qui instaure une étude des risques, s’explique par le fait qu’il n’existe pas, en France, de système pérenne de recueil des Événements indésirables graves (EIG) médicamenteux permettant des examens approfondis et des actions correctives. Fort de ce constat, le législateur a fait preuve de pragmatisme en confiant à chaque établissement le soin de s’organiser en interne et de réaliser son propre recueil.
Hospimedia : Avec ces dispositions, le circuit du médicament se trouve impacté. Qu'est-ce qui doit désormais entrer en ligne de compte pour les établissements de santé ? Et qu'en est-il de cette question de l'informatisation ?
O.Y. : Le circuit du médicament s’inscrit dans le cadre plus large de la pharmacovigilance qui, elle, est, réglementée par l’arrêté du 28 avril 2005. Mais il prend aujourd’hui de l’importance car il s’inscrit dans le cadre de la loi sur le médicament (lire aussi notre brève du 20/12/2011 ). L’arrêté pris en avril 2011 fait notamment suite à l’erreur d'étiquetage et d’administration commise à l’hôpital Cochin-Saint-Vincent-de-Paul de l'Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP, lire aussi notre brève du 29/11/2011 ), qui a causé la mort d’un enfant fin 2009, ainsi qu’au scandale du Médiator. L’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) a alors rédigé un rapport dans lequel elle explique que la notion de circuit est double : le circuit clinique, qui fait référence à la prise en charge médicamenteuse du patient hospitalisé de son admission à sa sortie; le circuit logistique, qui se concentre sur le médicament en tant que produit de santé, de son achat à sa délivrance. Dans la chaîne de soins, ces deux circuits se rejoignent lors de l’administration du médicament au patient. En définitive, les opérations successives et interdépendantes qui font intervenir des acteurs différents (médecins, préparateurs, infirmiers...) ne visent qu’un seul objectif : la qualité. Il faut faire en sorte que le bon patient reçoive le bon médicament, au bon moment, à la bonne dose et par la bonne voie d’administration. L’objectif sécurité vise, lui, à éviter les erreurs médicamenteuses. Ainsi, cet arrêté fait-il de l’informatisation des processus de prise en charge médicamenteuse une des conditions essentielles de sa sécurisation. Désormais, les établissements de santé ne peuvent plus faire l’économie d’une informatisation du circuit du médicament. En revanche, pour qu’elle soit efficace, elle doit impérativement faire l’objet d’un dialogue en interne, entre la Direction des systèmes d’information (DSI) et la Pharmacie à usage intérieur (PUI), mais aussi entre l’établissement et les éditeurs de logiciel afin que chacun parle le même langage. Dès le départ, quand un établissement lance un marché public sur un logiciel, il doit définir en amont ses besoins avec précision pour que les éditeurs en comprennent les tenants et les aboutissants puis offrent la solution la plus adéquate. Néanmoins, l’informatisation ne prémunit pas complétement contre les erreurs médicamenteuses et peut même parfois en induire de nouvelles. Ainsi reproche-t-on souvent aux logiciels de pharmacologie un manque d’ergonomie rebutant les utilisateurs qui risquent de retourner au format papier. L’informatisation du circuit du médicament nécessite également une confiance absolue au plan, notamment, de la continuité du service. Enfin, son avantage est de contribuer à l’essor de la pharmacie clinique et analytique du médicament ,qui suppose un dialogue renforcé entre les médecins, les pharmaciens et les infirmiers. Et il est vrai que, dans un sens, l’arrêté participe de ce mouvement consistant à libérer les différents acteurs de la chaîne de soins de toutes les tâches sans valeur ajoutée pour simplifier leur tâche administrative et les recentrer sur leur cœur de métier.
H. : Il est prévu, avec cet arrêté, une déclaration interne des événements indésirables. Pour les professionnels de santé, est-ce que cela n'est pas difficile à appliquer ? Du côté des directeurs d'établissements, savez-vous quelles sont leurs principales appréhensions vis-à-vis de cet arrêté ?
O.Y. : La mention d’une déclaration interne de tout événement indésirable, au sein des établissements, illustre bien la dichotomie entre les textes réglementaires et la pratique. Dans les textes, on passe d’une logique de sanction à une logique de signalement pour éviter que les erreurs ne se reproduisent. Mais dans les faits, lorsqu’un professionnel de santé se trompe, la peur l’emporte souvent. Cet arrêté, et je le dis de manière un peu provocatrice, est à la pharmacovigilance ce que les Revues de mortalité morbidité (RMM) sont à la médecine, à savoir une logique de prévention, constructive, censée être dépouillée de tout jugement de valeur, uniquement sur une méthodologie. Lors de la réunion organisée le 15 décembre dernier sous l’égide de Vidal et de DSIH à l’École des hautes études en santé publique (EHESP) sur le circuit du médicament, les directeurs d’établissements se sont montrés intéressés par les questions relatives à l’organisation interne. En effet, l’arrêté leur impose de nommer un responsable du système de management de la qualité de la prise en charge médicamenteuse. Beaucoup se sont alors demandé si le coordonnateur de la gestion des risques associés aux soins (instauré par le décret du 12 novembre 2010 sur la gestion des risques) pouvait exercer cette fonction, tout en sachant que ces deux fonctions ne font pas appel aux mêmes connaissances. Une problématique qui amène la question de la formation et des besoins en formation. Sur l’informatisation proprement dite, la difficulté réside dans la formation, qu’elle soit initiale ou continue, car il faut sensibiliser les acteurs de soins à l’outil informatique et vaincre leur appréhension pour éviter tout retour en arrière.
Un intervenant à cette journée a également rappelé qu’il valait mieux que ce soit le responsable du système de management de la qualité de la prise en charge médicamenteuse qui analyse les causes de dysfonctionnement de la prise en charge médicamenteuse plutôt que le juge d'instruction. Il convient en effet que les établissements ne se laissent pas déposséder de la maîtrise du risque et se retrouvent à la déléguer involontairement au juge pénal. Mieux vaut gérer le risque en interne plutôt que d’être mis devant le fait accompli".
Propos recueillis par Géraldine Tribault
Omar Yahia
Omar Yahia est avocat au barreau de Paris depuis 2005. Il est actuellement avocat associé chez SCM Saint Marc . Omar Yahia est régulièrement sollicité pour animer des formations proposées par Comundi et est également consultant ponctuel auprès de Pilotage hospitalier management économique (PHME) Conseil (consulting spécialisé en gestion des établissements hospitaliers). Il a, en outre, créé un service Internet gratuit dénommé "Hospidroit ".
G.T.
www.hospimedia.fr
Omar Yahia : J’ai eu l’impression, à la première lecture de cet arrêté, d’être face à un manuel de certification de la Haute autorité de santé (HAS). On y décèle tout du moins une véritable influence. Au plan juridique, je considère ensuite que les établissements de santé encourent aujourd’hui davantage de risques en cas de non-conformité à l’arrêté du 6 avril 2011, dès lors que le qualitatif a désormais investi le champ réglementaire. Auparavant, les établissements déviants, qui faisaient l’objet d’une visite de certification, risquaient une visite de suivi portant sur la thématique défaillante ou bien une certification assortie d’une réserve, d’une réserve majeure ou, pire encore, d'une non-certification. Or, désormais, les bonnes pratiques inscrites dans l’arrêté sont devenues juridiquement opposables car dotées d’une force contraignante. C’est bien une obligation de résultat à laquelle les établissements sont dorénavant soumis : ils n’ont plus le droit à l’erreur. L’article 8 de l’arrêté indique, par exemple, que la direction de l’établissement doit veiller à désigner les différentes responsabilités mais aussi que "la prescription est conforme aux données de référence". Si, dans ces conditions, je devais défendre un patient victime, par exemple, d’une erreur de prescription, je ne manquerais certainement pas de me reporter à cet arrêté pour vérifier si les dispositions nécessaires ont été prises.
Je relève également qu’il est désormais fait obligation aux établissements, dans le cadre d’un système de management de la qualité, de tout tracer suivant une méthodologie encadrée, là aussi typique de la HAS, et de suivre étape par étape le processus. La rédaction de l’article 8, qui instaure une étude des risques, s’explique par le fait qu’il n’existe pas, en France, de système pérenne de recueil des Événements indésirables graves (EIG) médicamenteux permettant des examens approfondis et des actions correctives. Fort de ce constat, le législateur a fait preuve de pragmatisme en confiant à chaque établissement le soin de s’organiser en interne et de réaliser son propre recueil.
Hospimedia : Avec ces dispositions, le circuit du médicament se trouve impacté. Qu'est-ce qui doit désormais entrer en ligne de compte pour les établissements de santé ? Et qu'en est-il de cette question de l'informatisation ?
O.Y. : Le circuit du médicament s’inscrit dans le cadre plus large de la pharmacovigilance qui, elle, est, réglementée par l’arrêté du 28 avril 2005
H. : Il est prévu, avec cet arrêté, une déclaration interne des événements indésirables. Pour les professionnels de santé, est-ce que cela n'est pas difficile à appliquer ? Du côté des directeurs d'établissements, savez-vous quelles sont leurs principales appréhensions vis-à-vis de cet arrêté ?
O.Y. : La mention d’une déclaration interne de tout événement indésirable, au sein des établissements, illustre bien la dichotomie entre les textes réglementaires et la pratique. Dans les textes, on passe d’une logique de sanction à une logique de signalement pour éviter que les erreurs ne se reproduisent. Mais dans les faits, lorsqu’un professionnel de santé se trompe, la peur l’emporte souvent. Cet arrêté, et je le dis de manière un peu provocatrice, est à la pharmacovigilance ce que les Revues de mortalité morbidité (RMM) sont à la médecine, à savoir une logique de prévention, constructive, censée être dépouillée de tout jugement de valeur, uniquement sur une méthodologie. Lors de la réunion organisée le 15 décembre dernier sous l’égide de Vidal et de DSIH à l’École des hautes études en santé publique (EHESP) sur le circuit du médicament, les directeurs d’établissements se sont montrés intéressés par les questions relatives à l’organisation interne. En effet, l’arrêté leur impose de nommer un responsable du système de management de la qualité de la prise en charge médicamenteuse. Beaucoup se sont alors demandé si le coordonnateur de la gestion des risques associés aux soins (instauré par le décret du 12 novembre 2010
Un intervenant à cette journée a également rappelé qu’il valait mieux que ce soit le responsable du système de management de la qualité de la prise en charge médicamenteuse qui analyse les causes de dysfonctionnement de la prise en charge médicamenteuse plutôt que le juge d'instruction. Il convient en effet que les établissements ne se laissent pas déposséder de la maîtrise du risque et se retrouvent à la déléguer involontairement au juge pénal. Mieux vaut gérer le risque en interne plutôt que d’être mis devant le fait accompli".
Propos recueillis par Géraldine Tribault
Omar Yahia
Omar Yahia est avocat au barreau de Paris depuis 2005. Il est actuellement avocat associé chez SCM Saint Marc
G.T.
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