Publicité en cours de chargement...
La génétique ou le cauchemar du DPO
Il y a quelque temps, dans une discussion sur la question de savoir si les données génétiques obéissaient aux règles générales, certains des interlocuteurs présents à la réunion n’avaient même pas conscience des spécificités de ce type de données, d’où cet article. Précision utile : les experts me pardonneront les approximations médicales, l’objectif de ces lignes est de montrer quelques particularités du domaine et leurs impacts sur la réglementation en cours. Autre précision : certains cas d’usage problématiques ont une réponse Cnil/RGPD. Le lecteur intéressé pourra consulter l’excellent ouvrage de la Cnil Les Données génétiques, paru en 2017 aux éditions La Documentation française.
Lorsqu’un praticien séquence le génome d’un patient, qu’il s’agisse d’établir ou de confirmer un diagnostic ou encore de rechercher des altérations éventuelles de l’ADN, à l’issue du séquençage, le praticien détient non seulement des informations médicales sur le patient lui-même, mais également sur sa parentèle (ascendants, fratrie, descendants). On se trouve donc dans le cadre d’une collecte de données médicales concernant potentiellement des personnes qui n’auront jamais rencontré le praticien ou même ignoreront ledit séquençage pratiqué sur l’ADN d’un membre de leur famille. Nous sommes donc à la frontière du consentement.
De plus, anonymiser une donnée génétique est virtuellement impossible : le génome EST la personne, la personne EST son génome. La simple détention de l’ADN d’une personne, ADN trouvé au hasard et sans aucun lien avec son « possesseur », ne garantit absolument pas l’anonymat (impossibilité de mettre la main sur le possesseur en question par des moyens « raisonnables » selon la définition du RGPD). Dans l’affaire Élodie Kulik[2] (2002), les coupables (dont on avait prélevé l’ADN sur la scène du crime sans qu’ils soient fichés nulle part) ont été retrouvés par recherche en parentèle : un parent éloigné d’un des suspects s’est fait attraper lors d’un braquage à l’autre bout de la France et, des années plus tard, le prélèvement de son ADN a fait matcher le fichier des empreintes génétiques non identifiées, permettant de remonter aux suspects.
Sur le plan médical, l’irruption de la génétique pose également des soucis au regard du concept de finalité. La connaissance du génome d’une personne permet de détecter des pathologies que l’on ne cherchait pas forcément (vous venez pour un dépistage de la maladie X, et on vous trouve la maladie Y), voire des probabilités de développer d’autres maladies (type Alzheimer). Je passe sur le fait que l’analyse du génome d’un patient exclut la possibilité qu’il soit en bonne santé : on trouvera toujours quelque chose, soit de façon sûre, soit de façon probable – bon courage aux Directions des relations usagers à l’avenir…
Sur le plan de la confidentialité, c’est un enfer. Non seulement le séquençage du génome permet de reconstituer une bonne partie d’un arbre généalogique, mais, en plus, pour peu que l’on analyse le génome d’une famille entière (procédure habituelle lorsque l’on recherche l’origine d’un dysfonctionnement génétique chez un mineur), l’arbre généalogique réel pourra être établi : si le papa du gamin porteur du dysfonctionnement génétique n’est pas le fils biologique du grand-père et que mamie l’a caché pendant 40 ans, je vous laisse imaginer la gestion en Com… Autre exemple : le séquençage de mon génome révèle une maladie incurable qui, à mon âge, ne me laisse plus que quelques années à vivre. Elle est hautement transmissible à mes descendants qui, eux, pourraient bénéficier de traitements palliatifs… sauf que pour ce faire il faudrait les contacter, ce qui les informerait de facto de mon état de santé[3]. Le séquençage du génome d’une personne X implique de détenir potentiellement des informations médicales sur sa parentèle, sans l’accord de cette dernière ni qu’elle puisse s’y opposer et faire jouer un quelconque droit à l’oubli.
Inutile de dire que, dans ce contexte, il y a deux sujets absolument majeurs à instruire avant d’informatiser[4] ce type d’activité dans un établissement de santé : la question du stockage des données de génétique (dans le DPI ou dans un progiciel métier dédié) et la question de la politique d’habilitation à l’accès à ces données. En l’état de mes réflexions, j’ai tendance à penser qu’il faut absolument un progiciel dédié, que les informations génétiques ne peuvent figurer dans un DPI généraliste et que c’est le seul cas (avec le traitement de la médecine du travail) qui justifie des habilitations intuitu personæ.
Article connexe → Habilitations d’accès aux données médicales à l’ère des GHT - Vision juridique
Et, pour couronner le tout, dans un CH/CHU, le séquençage d’ADN est pratiqué non seulement en génétique, mais le sera potentiellement à terme dans tous les services MCO « traditionnels » : un cardiologue ou un urologue auront de plus en plus recours au séquençage pour confirmer ou approfondir un diagnostic. On n’en est donc qu’au début.
[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/Affaire_%C3%89lodie_Kulik
[3] Ces deux cas d’usage ont une réponse spécifique au regard du RGPD, ce qui montre bien que le sujet est complexe.
[4] On va dire que l’ère du papier rend cette activité moins dangereuse, mais ce n’est bien entendu pas vrai.
L'auteur

Responsable Sécurité des systèmes d’information et correspondant Informatique et Libertés au CHU de Nantes, Cédric Cartau est également chargé de cours à l’École des hautes études en santé publique (EHESP). On lui doit aussi plusieurs ouvrages spécialisés publiés par les Presses de l’EHESP, dont La Sécurité du système d’information des établissements de santé.
Avez-vous apprécié ce contenu ?
A lire également.

Paul Milon, de l'informatisation des mairies à la convergence hospitalière
01 déc. 2025 - 18:48,
Actualité
- Pierre Derrouch, DSIHCe n’est pas à l’hôpital que Paul Milon fait ses premiers pas dans le numérique, mais en participant à partir de 1985 au mouvement d’informatisation les mairies. « C’était la première fois qu’on équipait ces collectivités », se souvient le DSI du GHT du Var. Une expérience qui incidemment le conduir...

Inria et Doctolib s’associent pour la recherche en intelligence artificielle en santé
01 déc. 2025 - 12:13,
Communiqué
- DoctolibInria, l’Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique et Doctolib annoncent la signature d’un partenariat inédit en matière de recherche pour faire émerger des modèles d'intelligence artificielle cliniques à la fois fiables et souverains dans le domaine de la santé.

Adopt AI 2025 : la santé passe à l’échelle, sous le regard du terrain hospitalier
01 déc. 2025 - 11:56,
Actualité
- Morgan Bourven, DSIHL’Adopt AI International Summit 2025 s’est tenu les 25 et 26 novembre dans le cadre prestigieux du Grand Palais. Artefact y a accueilli près de 20 000 participants, 600 intervenants et 250 exposants, avec un moment fort : la venue du président Emmanuel Macron. Pensé comme un lieu où les idées se tra...

L’IA générative on-premise : retours d’expérience et stratégies concrètes
27 nov. 2025 - 14:42,
Actualité
- Morgan Bourven, DSIHÀ l’occasion de la conférence « Transforming Hospitals Through On-Premise Generative AI » organisée dans le cadre de l’évènement Adopt AI, le 25 novembre à Paris, des experts ont partagé leurs visions sur l’intégration de l’intelligence artificielle générative au sein des établissements de santé. Po...
